Le soleil avait enfin décidé de se lever, pour venir frapper une Heather aux yeux sombres; reflets inquiétants de noirs et de rouges. Elle n'avait pas dormi, oh non...

Quelle idée elle avait eu, aussi. Pourtant, à la base, la réflexion n'était pas bête : Londres avait toujours été une immense Cité, très densément peuplée. Était-ce tellement stupide de penser que peut être, peut être s'y trouverait plus de survivants qu'ailleurs ? Et surtout, qu'ils pourraient l'éclairer sur son chemin ? La jeune femme devait trouver ce Chevaucheur, ce... cette chose immonde. La route n'avait pas été si longue; voler les clés d'une des motos rescapées et rafistolées par quelques bricolos était à la portée de n'importe qui. Enfin, surtout la sienne. Faire tenir l'engin du fin fond de l'Angleterre vers le Sud, jusqu'à arriver à Londres, vite, en évitant le plus possible tant les haltes que les rencontres, avait relevé du calvaire. Sans parler des problèmes d'hygiènes et de nourriture; il s'agissait toutefois de problèmes auxquels Heathy trouverait une "vraie" solution en temps voulu.

Dévastée, comme les autres, comme partout, la ville s'était vite dressée devant elle. Au premier regard, un premier soulagement; la jeune femme sentait la vie qui y grouillait. Londres était peuplée, mieux, habitée, et si les habitations n'étaient pas toutes en bon état, il en restait encore qui se dressaient, qu'elles fussent rebâties ou non. C'était là qu'elle avait pensé trouver refuge.

Mais elle devait bientôt découvrir que des... des créatures étranges y rôdaient. Les mêmes qu'elle avait déjà aperçues près de l'Institut, à quelques détails près... L'Anglaise avait abandonné son véhicule, sachant qu'il ne la porterait pas plus loin, de toute évidence... Et qu'elle n'avait pas de quoi le recharger. Une odeur rance flottait dans les rues, de pourriture et de mort; elle n'aimait pas l'atmosphère. Elle n'aimait rien, dans cette ville. Son don de camouflage lui fut plus qu'utile; voire sans être vue ! Quoi de mieux ? Certes il lui fallait prendre ses précautions, plus que toute autre chose; son pouvoir était loin d'être infaillible. Mais c'était mieux que rien.

Manger, boire, récupérer un jean -certes troué-, un pull informe et des chaussures en meilleur état que les siennes l'occupa le reste de la journée; elle n'avait absolument aucun scrupule à se servir. Qui allait l'engueuler, hein ? Mais se reposer fut une autre paire de manches. Disons qu'elle s'était cramponnée à son couteau, à moitié recroquevillée dans un ancien appartement qu'elle pensait vide, sous une pseudo-couverture et qu'elle n'avait pas osé fermer l'œil de la nuit. De temps en temps, elle avait cédé, s'octroyant trente, quarante minutes de sommeil; mais le moindre bruit se chargeait de la réveiller, tant elle était tendue, sur les nerfs.

Les créatures qui rôdaient là lui faisaient peur. Une peur panique; c'était sur eux qu'elle posait la responsabilité du drame qui les avaient frappés. Parce qu'il fallait bien un coupable, et que ce n'était pas elle, n'est-ce pas ? Alors maintenant, elle se trouvait comme une souris dans une souricière, se demandant comment elle pourrait bien sortir; Heather n'oubliait pas la raison première de sa venue: s'il y avait des survivants ici, capable de survivre à tout ce qui rodait en ville, alors ils savaient forcément des choses. C'était obligé.

La jeune femme rangea son couteau dans ses poches, prit son courage à deux mains, tenta d'accrocher ses cheveux sans grand succès. Son abri d'une nuit lui aura été utile, mais elle ne pensait franchement pas dormir à nouveau là le soir venant; aussi reprit-elle sa course, invisible, à travers les rues de l'ancienne Capitale.

Elle y réussit, bien sûr. A quoi ? Bien ! A se faire repérer. Les rues grouillaient tellement... A croire qu'elle était parvenue à trouver l'endroit le plus infesté de la planète. C'était ça, le manque d'informations... Ces... "choses" étaient répugnantes. Avaient-elles été humaines, comme certains osaient le dire ? Cette seule pensée était juste...abjecte. Immonde. Agressifs, difformes, et... et Heather n'avait eu qu'à éternuer. Cliché universel, dont elle était la première à se moquer lorsqu'elle voyait une telle scène dans les films, et pourtant, pourtant... Le bruit seul avait suffit, l'espace d'une seconde, à la rendre visible; à affoler les masses grouillantes des quelques mutants que le soleil n'avait pas encore chassés. La jeune femme hurla, se tourna, courut; elle avait du mal à se concentrer, on eut dit qu'elle clignotait : visible, invisible, visible... C'en aurait presque été marrant. Entre rire et pleurer, elle préférait encore courir... Est-ce que sa dernière heure avait sonné ? Qu'elle avait survécu à des années de désastre pour... ça ? Oh non, non, elle trouverait bien quelque chose...N'importe quoi !

C'était à sa peau qu'elle pensait, pas à celle des autres. Heather hésitait, bon sang, que faire...? Elle avait en horreur la simple idée que l'une des créatures derrière elle ne la touchât, et pourtant, pourtant... C'était une sensation horrible. Plus encore qu'une frustration, une colère muette, une rage impuissante; celle de sentir que le mieux que l'on puisse faire n'est pas encore assez.

La jeune femme haletait, manquait de trébucher; elle entendit les grognements, les cris, sentait le mouvement dans son dos et la peur le long de son échine; son coeur battait de plus en plus vite, mais même lui avait une limite. Et soudain, la lumière. L'Anglaise tiqua; hébétée, comme un papillon serait ébloui par une lampe et pourtant fasciné, elle s'arrêta instantanément, levant ses deux bras à hauteur de ses yeux pour s'en protéger. Pourquoi ? Comment ? Elle ne comprenait pas, mais...

De tout façon, Heather eut bien moins de temps qu'elle ne l'avait escompté pour se reprendre; son cerveau semblait s'être arrêté, mais au moment où elle se décidait à reprendre sa course, elle sentit une présence dans son dos, pressante. Un cri s'échappa de ses lèvres, son coeur rata un battement. Voilà, ça y était, la fin... Tout ça pour rien, la Terre compterait encore un habitant de moins, elle entendait déjà les cris s'éloigner, ses pieds quitter le sol, l'air autour d'elle qui la fouettait sous la vitesse et pourtant quelqu'un... Une présence. Un ange, peut être ? Elle n'avait jamais vraiment été croyante, mais...

Mais la réalité finit par la rattraper. La jeune femme suffoqua, rouvrit les yeux; elle sentit soudain le sol à nouveau, tituba vaguement : son corps, surtout ses jambes, était bien trop secoué pour lui assurer une quelconque stabilité. Le contrecoup du choc la fit trébucher et s'asseoir sur le sol, au moins le temps qu'elle ne respirât.

« Bonjour. Je crois qu’il va falloir trouver quelque chose, car là on est bel et bien pourchassé par des mutants en traque. »

La voix, les cris... Heathy releva la tête, visiblement perdue, la bouche ouverte et les yeux mi-clos, l'air hagard comme une petite fille. Il y avait quelqu'un, face à elle; sa voix sonnait comme un lointain bourdonnement à ses oreilles, alors que ses yeux le détaillait, de haut en bas, de plus en plus horrifié à chaque seconde qui passait. Instinctivement, la jeune femme recula, rampant plus qu'autre chose. Elle tremblait. Avec ses propres mains, elle toucha sa tête, vérifiant qu'elle même n'était pas dotée de corne; elle examina sa paume, comme pour vérifier que la peau de l'inconnu n'était pas comme la sienne. Et...Et ses ailes ! Bon sang...! La seule chose qui retint Heather de crier fut la peur. Fallait-il qu'elle tombât de Charybde en Scylla ? Ses lèvres s'entrouvrirent, tentèrent d'articuler un vague "B-Bonjour..." en retour, mais il n'en sortit qu'un son rauque et malhabile. Et dire qu'il semblait plus jeune qu'elle, à première vue...encore qu'elle ne distinguait pas bien son visage.

-J-J-J'étais...En bas, et puis... Je dormais, et, et... Ils, enfin, les...les...choses..., continua-t-elle, pathétiquement. Son regard se porta sur le sol, et d'un seul coup, la jeune femme se redressa. Elle entendit les cris, elle sentait la menace; son esprit se remit en marche, d'un coup. La jeune femme savait encore ce qui était le pire entre rester là, ou partir...

-Voler. Vous volez. Non ?

Sa voix tremblait, quoiqu'elle tentât de le cacher. La peur se lisait sur son visage, comme un poison s'insinue dans des veines, que seul son instinct de survie parvenait à surmonter.

-Il faut partir, maintenant. Pas par le sol, par les toits, par... N'importe où.

En réalité, la roublarde ne savait pas trop. Elle avait l'habitude d'être en zone connue; lorsqu'elle était privée de ses repères, en revanche, le jeu devenait tout de suite moins amusant. Mais qu'est-ce qu'elle avait besoin d'aller se coller là dedans...

-Ou trouver...Une voiture, quelque part. Mais partir. Loin, looin de Londres...

Sa voix bafouillante traduisait à peine son angoisse, quand ses yeux la rendait sans peine. De tout l'échange, elle n'avait osé regarder l'"autre"; elle craignait que si son regard ne se posât ne serait-ce qu'une fois de plus sur son apparence des plus déroutantes, elle n'ait plus qu'une envie : sauter du haut de l'immeuble.

Elle verrait ça plus tard; chaque chose en son temps.