« Illusions et miroirs de la pensée » [Elphos pv Light]

Maussade. Froid. Macabre. Voilà comment l’on pouvait qualifier l’atmosphère de ce monde. Comment ne pouvait-on pas penser à tous les morts, toutes les victimes, de cette folie, de l’Apocalypse ? On ne peut pas, même avec une once de pensées, et d’humanité, on ne pouvait pas ne pas penser à ce monde révolu qui dominait la Terre il y a cinq ans. Ce monde était si puissant, si débauché, mais si puissant. Il avait surtout était puissant, même à sa perte. Bien qu’Elphos ait été à l’écart de la folie des grandeurs de ces pays hégémoniques, il n’était pas dans l’ombre, il savait bien ce qu’il s’y passait, de quel monde dépravé il s’agissait.

Depuis quelques jours, Elphos marchait dans le Sud du Canada, et depuis quelques jours, il s’était résolu à descendre dans la profondeur de la Terre. Il savait qu’il n’était certainement pas né à la surface, il savait qu’il n’avait pas des parents normaux, il savait qu’il n’était pas humain… Depuis si longtemps, il le savait, avoir vécu repoussé des autres, refoulé, rejeté, comment ne pas savoir qu’on était différent, juste différent ?… La différence pouvait faire tant de mal, vraiment ? Ne pouvons nous donc pas être tolérant, et apprendre ? Nous avons tout à apprendre de quelqu’un de différent, tout d’abord une chose; le respect, l‘acceptation des autres tels qu‘ils sont.

Et bien non, même au vingt-troisième siècle, la tolérance n’existait toujours pas. Après que les hommes se soient tués, entre blancs, noirs, jaunes, métisses, pendant de nombreux millénaires… Alors que les hommes pouvaient avoir des greffes, de nouveaux membres, de nouveaux cheveux, alors que l’homme était devenu une marchandise, et qu’elle était modelable à son envie, à toutes ses envies ! Alors pourquoi, pourquoi la monstruosité choquait-elle encore ? Alors qu’en fin de compte, oui, Elphos était bien un monstre, une créature inconnue, mais de nature… Mais après toutes ces modifications physiques, est-ce que les monstres n’auraient-ils pas plutôt été les humains ? Modifier les génotypes, modifier les caractères génétiques, modifier sa vie, n’est-ce pas contre nature ? Si cette science s’était arrêtée au seuil de la guérison de toutes les maladies génétiques, fort bien. Mais devait-elle se poursuivre à l’apogée de la vente humaine ? Elphos ne le pensait pas, bien qu’il était contre le fait que l’homme soit une marchandise, il ne s’en trouvait pas moins monstrueux, ainsi refoulé, presque chassé.

Puis, comment ne pas être intolérant, quand le monde tourne au capitalisme ? Quand le monde tourne sur les capitaux, tournant sur l’argent, et tournant autour des riches et de leurs investissements ? Et si loin des pauvres… Le monde était à l’argent, aux riches ! Ad fine, cette apocalypse a juste mis fin à une ère délétère…

L‘Aerantas marchait en direction des Rocheuses depuis la veille, et c‘est maintenant qu‘il acheva son long voyage, il était arrivé. Les Rocheuses, pourquoi ? Et bien il savait qu‘à peu près dans toutes les grandes montagnes de ce monde, se terraient les entrées des cavités des souterrains… A présent, il en cherchait une, vacillant sur ces terrains abruptes et hostiles qu’étaient les montagnes. Après quelques heures de recherches hasardeuses, sous un soleil blafarde, il tomba dessus. L’entrée n’était pas bien grande, assez pour une homme, elle semblait béer sur des méandres de terreur et d’infini. Dans la Nuit.

Elphos s‘engouffra à l‘intérieur d‘un pas déterminé, après avoir surveillé ses provisions, et surtout ses réserves d‘eaux. Il avait entendu dire que les cavités et notamment le dédale des souterrains était vraiment et simplement horrible à traverser. Une aura bleue peignit les pans des murs de la grotte, tandis que l‘Enfant des Dragons s‘enfonçait dans les ténèbres…

Au bout de longues heures ou plutôt de marches harassantes et surtout aléatoire, Elphos perçut un halo rougeoyant vibrer sur le bord du boyaux des souterrains, en s’avançant prudemment, il découvrit une immense cavité regorgeant de lumière pourpre et magmatique. Il était arrivé à Kaménos, la cavité volcanique. Après avoir rejoint une grande route basaltique, l’Aerantas arriva dans un ville, celle-ci était sinistre, beaucoup de personnes le regardait étrangement, certains apeurés par son aspect, d’autres simplement l’air intéressé…

Fatigué de son exténuante marche, Elphos dénicha une auberge, poussa la porte criarde, et regardant le bar, il s’assit à une table adossée à une fenêtre. Il remarqua à une autre table, une jeune femme, étrangement belle, qui lui ressemblait énormément, au moins de vue... De sa silhouette harmonieuse…

Il était nuit. Depuis quelques jours déjà, aux yeux de Light. Même en n’ayant pas la moindre notion du temps qui s’écoule, il savait que cela commençait à faire longtemps qu’il errait dans les noirs souterrains de Kaménos. A dire vrai, cela ne le dérangeait pas le moins du monde. Son esprit était absolument vide, il avait le sentiment de nager dans un brouillard complet. Qui il était, d’où il venait… Rien. Il ne se souvenait plus de rien… Il savait seulement qu’il avait tout son temps devant lui, absolument tout son temps. Une éternité, même.

Aussi avançait-il presque automatiquement dans les tunnels abyssaux des Lypéria. Sa mémoire allait certainement lui revenir, il avait l’habitude… L’habitude de ces tempêtes qui avaient parfois lieu dans son crâne, de ces ouragans qui lui ôtaient tout souvenir. L’habitude. Ca revenait toujours après tout. Pourquoi s’inquiéter ? Un pied devant l’autre, cela n’avait rien de difficile. Alors il vagabondait. Il n’avait pas besoin de lumière, et d’ailleurs, il n’aurait su dire pourquoi. Il avait l’impression d’avoir parcouru ce chemin des milliers de fois et d’en avoir retenu les moindres intersections.

Ainsi, lorsqu’il commença à escalader des marches, ne s’en étonna-t-il pas outre mesure. Au bout d’un certain temps, il crut distinguer au bout du dédale une lueur rougeoyante. Il plissa des yeux pour mieux deviner ce qui l’attendait au bout du tunnel et… Ce fut l’explosion. Tous ses sens s’éveillèrent. Au même moment, des millions de voix commencèrent à crier, hurler, chuchoter inlassablement en lui-même… Il en eut un sursaut de stupeur. La vie. La vie intelligente. Douée de pensée. Si proche ! Instantanément, il bondit sur ses jambes et monta la volée de marches à une vitesse inimaginable. Bientôt, il se retrouva à l’ouverture d’une brèche, surplombant une cavité flamboyante. Kaménos.

Il ouvrit de grands yeux ébahis. Cela grouillait de présences clairvoyantes… Il entendait chacune de leurs pensées… Chacune. S’il se concentrait intensément, il pouvait écouter précisément une voix et entendre le fil de ses élucubrations… Il aimait beaucoup se prêter à cet exercice : cela lui permettait de s’oublier complètement, lui-même, sa mission, et tous ses problèmes… Tellement de problèmes ! Cette envie irrépressible d’être quelqu’un d’autre, de mentir, et cette amnésie continuelle…

Il s’assit en tailleur, à la sortie de la brèche, et considéra les rivières de lave et les étendues de terres brûlées qu’il avait à perte de vue. Son esprit butinait comme un papillon d’un réseau de pensées à l’autre… Il s’intéressait à peine à la plupart des réflexions qui effleuraient son essence… Tout était si futile, si volatile… Pourtant… Il dénicha finalement quelqu’un qui eut le mérite de le retenir.

C’était un homme… Non un jeune homme… Enfin, un jeune Aerantas, à ce qu’il semblait. Il avait… Il était… A la recherche de quelque chose… Dans les souterrains pour… Ses parents. Light eut alors accès à tout son passé. Il s’appelait… El… Elphos, c’était cela. Comme c’était étrange… Un Lypéria élevé sur Terre ! Et tellement de mystères… ! L’imagination de Light se lança à plein régime.

Il se leva sans même s’en rendre compte et s’élança sur les traces de l’Aerantas. Les pensées d’Elphos étaient les cailloux qu’il semait sur son chemin et que le Chevaucheur suivait imperceptiblement. Tout en marchant, il s’élaborait une physionomie proche de celle d’Elphos… Une silhouette harmonieuse, enveloppée dans de légers vêtements violets, des voiles voluptueux… Il… Enfin, elle était de taille moyenne. Light aimait emprunter le corps d’une femme (peut-être en était-il une lui-même, d’ailleurs, qui sait ?). Il adoptait alors une légèreté fantastique dans sa démarche ; se déplacer de la sorte lui plaisait ineffablement.

Son visage était fin et néanmoins voilé d’une étoffe violette, ce qui faisait admirablement ressortir ses yeux d’un cyan étincelant. Ses cheveux soyeux, d’un noir de jais, se trouvaient surplombés de deux cornes effilées de couleur argentée.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la pseudo Light se trouva à Elawa. Il ne fit pas attention à son environnement, seule comptait l’histoire qu’il se construisait en lui-même… Son histoire et celle d’Elphos… Pauvre Aerantas sans parent… Light satisferait ses vœux, oui, absolument…

Il traversa la cité de basalte noir, oubliant la chaleur qui émanait des grandes rivières pourpres… Et enfin… Une auberge. Un peu miteuse. Il…Elle ouvrit la porte et parcourut la salle des yeux. Elle n’avait pas conscience que tous les regards étaient posés sur elle, des regards hétéroclites, menaçants ou non… Tout ce qui comptait était sa déception. Elphos n’était pas là. Du moins, pas encore… Ce que Light avait vu en dernier lieu au sujet du chemin d’Elphos, sans s’en apercevoir, était en fait son avenir. Après quelques réflexions, il…elle le réalisa pleinement et décida d’attendre son…fils, à une table.

Elle s’assit donc dans un coin sombre, et croisa les doigts sur ses genoux tout en regardant ses chaussures avec attention. Chaque fois que la porte grinçait, elle levait immédiatement la tête et dardait ses yeux cyans sur l’entrée. Et finalement, il pénétra l’auberge. Il était…exactement comme Light l’avait vu dans ses pensées… Elle sentit en elle-même naître un enthousiasme et une chaleur maternelle qu’il n’avait jamais éprouvé… Elle se leva d’un bond après quelques secondes et, à pas de velours, s’approcha de son fils… Doucement, elle s’assit face à lui et plongea ses yeux dans le regard exténué d’Elphos… Dans un souffle chargé d’émotions, elle murmura :

« Elphos… Bonsoir… Je m’appelle… Je m’appelle Cloé Orianna Lightea… Je suis ta mère. »

Descendre dans les méandres sinueux de la Terre, pour redécouvrir, ou tout au moins tenter, pour découvrir son passé. Quelle idée. Quelle tentative. Inane ou non. Elphos savait, il savait qu’il ne possédait que quelques minces chances, de faire la découverte même d’une quelconque information concernant les Aerantas, et encore moins concernant ses parents. Il venait juste de descendre pour la première fois de sa vie dans les brèches des souterrains, et il se retrouvait dans une auberge miteuse avec des races dont il avait entendu parlé depuis l’Apocalypse…

Au bar, il y avait un homme grand, barbu, avec de grandes cornes sur son front, pas de la même forme qu’Elphos. Il était très grand, vouté, il s’agissait d’un Urgal. Il tenait dans sa main un verre, assez sal, qu’il essuyait avec un chiffon pas tout à fait net. Ses yeux étaient posés sur l’Aerantas, comme si il était dérangé de sa présence, dédaignant presque sur ce potentiel client. Le jeune homme-dragon détourna ses yeux cyan de lui, il n’était pas venu pour chercher les embrouilles, même ! Il n’était vraiment pas d’humeur ce la querelle, surtout pour rien. Ses pensées étaient assez éparses et embrumées pour demeurer indifférent un bon moment !

Ses parents, comme pouvait-il être ? Dès qu’il pensait à des possibles parents, les visages d’Eliep, de Félia, et aussi de Cya, venait hanter sa réflexion, oui, eux, ils étaient bel et bien sa famille, et rien n’y changerait. Il les aimait, et rien ne changera. Mais qui avait bien pu le mettre au monde, qui et comment étaient ses parents ? Comment avait-il pu atterrir à la surface ? Quel était ce collier, et ce prénom ? Qui était-il, lui ?… Tant de questions…

Il se posait surtout des questions sur sa mère… Comment était-elle, est-elle toujours en vie, surtout…

Soudain, dans la vision allégé de l’Aerantas, celui-ci vit une silhouette se lever, sans bruit, telle une ombre… Elle se posta devant Elphos, juste au siège qui était il y a encore un instant vide. Son front était magnifiquement pâle, ses cheveux d’un noir profond d’ébène, et ses yeux merveilleusement bleutés. Ses jours, sa bouche, son teint, étaient voilés par une tissu violet. Sur son crâne, deux cornes argentés ! De la même forme que les siennes, traits pour traits ! Ce ne pouvait pas ?!

Elphos gardait les yeux rivés, stoïque, sur elle. Attendant un signe de manifestation, après tout c’est elle qui est venu vers lui… Et c’est un murmure chargé en émotion qui flotta dans le brouhaha de l’auberge :

« Elphos… Bonsoir… Je m’appelle… Je m’appelle Cloé Orianna Lightea… Je suis ta mère. »

Le yeux de l‘enfant-dragon s‘ouvrirent de stupeur. Il aurait pu s‘attendre à tout, même aux plus acadabrantesques ! Il y aurait été froid, mais là, cette phrase… Il l’avait tant espéré depuis tant de temps, qu’il ne pouvait pas y croire, pas une seule seconde. Il réussit à bafouiller une réponse dans son désarroi total :

« Je… Comment ?… Vous ne pouvez ? C’est impossible… »

C‘est vrai… Même en supposant que cette femme étrangement lui ressemblant, soit sa mère, comme pouvait-elle savoir que lui, était son fils, elle ne l‘avait pas vu depuis temps de temps… Il aurait fallu un quelque chose physique pour qu‘elle le reconnaisse… Soudain les yeux d‘Elphos plongèrent sur son collier, il le souleva d‘une main délicate. Se rapprochant et se pendant sur la table, il tendit son pendentif devant l‘Aerantas.

« Vous ? Vous connaissez ce collier n‘est-ce pas ? »

Le garçon le regardait avec insistance, comme attendant éperdument une réponse, qu‘il avait tant espéré depuis le nuit de sa naissance…

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